Forum de la petite hydroélectricité

Montreuillois : les travaux des « passes à poissons » ne passent pas chez tout le monde

24/11/2015
http://m.lavoixdunord.fr/region/montreu ... 08n3180953
L’Agence de l’Eau Artois-Picardie et le Symcéa consacrent plusieurs millions d’euros à aménager les cours d’eau. Le but : permettre aux poissons de les remonter pour se reproduire. Mais, le long de la Canche et de ses affluents, nombreux sont ceux qui remettent en cause la façon dont ces projets ont été menés.

De l’argent public gaspillé ?
Philippe Piquet est maire de Beussent : « Je ne suis pas personnellement contre, mais pas pour que ça se fasse à n’importe quel prix. » Et le prix, à Beussent, c’est 266 000 € HT, pris en charge par l’Agence de l’Eau. « On pouvait refuser les travaux. » Mais c’était s’exposer à devoir les faire avec l’argent de la commune un jour ou l’autre. « On a été mis devant le fait accompli », ressent le maire. Ici, on a détourné le cours de la rivière, démoli le pont reconstruit plus loin et gommé la chute d’eau avec des enrochements. « C’est un investissement inconsidéré : nous sommes en période de rigueur budgétaire. Et on fait ça alors que nous peinons à obtenir des subventions pour l’entretien de la voirie communale et la construction des cinq citernes à incendie. La priorité, c’est d’assainir le cours d’eau. Actuellement à Beussent, 41 installations sont à réhabiliter dont 30 en zone à enjeu sanitaire car près de la rivière. Tout cet argent dépensé pourrait suffire à tout réhabiliter et ça serait fait immédiatement. »

Des contradictions
Jean-Louis Dandre et ses fils, Maxime et Guillaume, produisent 2 500 tonnes de farine par an au moulin de Brimeux qu’ils ont repris en 2009. Pour être en conformité avec la loi sur l’Eau, ils auraient dû ouvrir les vannes de leurs deux barrages en 2014. Sauf que 35 % de l’énergie du moulin vient de la rivière. « On veut bien ouvrir, mais on n’aura plus assez de hauteur d’eau pour alimenter la turbine. » La solution : supprimer la turbine, investir dans des machines modernes. Pour cela, il a fallu demander à EDF une augmentation de puissance. « Ça a mis trois ans à se finaliser ! Tant qu’on n’avait pas de puissance électrique, on était coincé. » Au-delà de ça, Jean-Louis et ses fils ne voient pas de logique : « On nous dit qu’il faut se servir des énergies renouvelables et on nous fait ouvrir les barrages. On est le dernier petit moulin du secteur et on nous embête pour des poissons ! Il suffisait de refaire l’échelle qui existe et d’en construire une autre. » Histoire de bien faire comprendre aux Dandre qu’ils sont dans l’illégalité, l’administration leur a fait parvenir un « rapport de manquement administratif » constatant la fermeture des vannes. « Le barrage est fermé 50 heures par semaine. Le reste du temps, c’est ouvert. Et on ne revend pas d’électricité à EDF. » Sans parler des coups de fil : « On nous a dit qu’on risquait des amendes par la police de l’eau, d’aller au tribunal, d’être attaqués par les assos de défense des animaux... On a demandé un délai. Ils nous ont donné jusqu’à début janvier. » Reste à monter les nouvelles machines. Dix jours de chantier pendant lesquels le moulin sera à l’arrêt. « Il aurait fallu six mois. On a un mois et demi. »

Des risques pas pris en compte ?
« À notre sens, le projet ne tient pas compte du risque d’inondation. » Jean-Félix de Bournonville sait mieux que personne à l’Agence de l’Eau comment fonctionne la Créquoise. Il a grandi à Hesmond, dans le moulin qui enjambe la rivière, et retapé par son père il y a une quarantaine d’années. Ici, on a remonté le niveau de la rivière et déversé des rochers sur 56 m de long. Coût : 85 000 €.
Avec ses chutes naturelles et ses moulins, la rivière s’écoulait par paliers, « comme des cuvettes d’eau empilées les unes au-dessus des autres ». Considérant que ces obstacles empêchent aux poissons d’en remonter le cours (lire page suivante), l’Agence de l’Eau et le Symcéa ont gommé ces barrières. Pire, ils ont comblé les fosses naturelles. « Maintenant, la rivière est comme une gouttière. Et qu’est-ce qui se passe, quand on verse de l’eau au sommet d’une gouttière ? » L’eau n’est ni retenue, ni freinée par les fosses. « Avant, l’eau tombait dedans, ça la freinait d’un coup. » Qu’adviendra-t-il quand il pleuvra beaucoup ? « On est convaincu qu’en permettant à la rivière d’accélérer, ça va générer des problèmes. »
Le moulin d’Hesmond présente en outre une singularité. Vient se jeter dans la Créquoise un fossé d’apparence inoffensive. Un vrai torrent en revanche en période de crue. « L’eau vient presque de Fressin par ce fossé. » Jean-Félix de Bournonville en a la conviction : l’eau arrivant de la rampe aménagée dans la Créquoise « va venir téléscoper le fossé. L’eau va arriver tellement vite que ça va faire un bouchon. On n’en a pas la preuve scientique. On sent qu’il va se passer quelque chose. C’est jusqte qu’on ne sait pas encore quoi. » Lui, son père, les habitants, ont bien tenté de l’expliquer à l’Agence de l’Eau, au Symcéa. « Mais ils considèrent que les gens sur le terrain, les anciens, ne savent pas, n’existent pas. Ils sont focalisés sur la remontée des poissons. »

D’autres effets
L’Embryenne à sec : Il y a un mois, on a dû sauver à la hâte des poissons. Le cours d’eau était à sec (photo ci-dessus). Pascal Deray, maire d’Hesmond impute ce phénomène au manque d’eau, pas aux travaux.
Recrudescence de hérons : Ils pullulent. La raison ? Privés de fosses profondes où se réfugier, les poissons sont des proies faciles. « Je l’ai encore signalé la semaine dernière, dit Jean-Félix de Bournonville. Mais ils s’en fichent. »
Niveau d’eau : Le moulin de Brimeux est la dernière retenue d’eau avant la mer. « Quand on ouvrira, l’eau va y partir naturellement », prévoit Jean-Louis Dandre. Quid, alors, du niveau de l’eau ?

A quoi servent les échelles ou passes à poissons ?
L’obligation d’aménager des échelles à poissons date de 1865. Depuis 2006, il faut permettre aux saumons atlantique, truites de mer, anguilles, truites fario et lamproies de franchir plus facilement les obstacles qui les séparent de leur lieu de reproduction.
Pour cela, il ne faut pas plus de 20 cm de hauteur de chute. « Le mieux, c’est pas de seuil du tout, précise Stéphane Jourdan, chef du service milieu aquatique et maîtrise d’ouvrage à l’Agence de l’Eau. C’est aussi ce qui coûte le plus cher. Mais c’est le plus efficace car ce n’est pas sélectif pour les espèces. »
L’Agence de l’Eau dit avoir déjà des résultats : « On a constaté des remontées importantes de poissons migrateurs dès que les tronçons ont été rendus accessibles. » Comme à Auchy-lez-Hesdin (notre photo)

Les réponses de l’Agence de l’Eau Artois-Picardie sur les sujets qui fâchent
Stéphane Jourdan est chef du service « milieu aquatique et maîtrise d’ouvrage ». Les passes à poissons, c’est son domaine. Il explique la finalité de ce vaste chantier et répond sur les sujets les plus délicats.

Pourquoi ces travaux ? L’une des dispositions de la loi sur l’Eau de 2006 est d’assurer la continuité écologique et sédimentaire des cours d’eau. En parallèle, des documents comme le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux fixent des priorités : « Éviter les rejets, permettre à la rivière d’accueillir la vie et à toutes les espèces d’accéder à leur zone de reproduction. Pas seulement les truites et les saumons, mais aussi les anguilles, les lamproies. »

Quelles rivières sont concernées ? Celles qui dépendent du territoire du syndicat mixte de la canche et de ses affluents (Symcéa).

En quoi consistent-ils ? Partout où la rivière présente un seuil (barrage, chute d’eau), on essaie de le supprimer ou de le gommer. « Certains poissons étaient capables de remonter, mais pas tous. Certains mouraient d’épuisement ». Commencés en 1991, les travaux s’étalent jusqu’en février 2018. Ils concernent 120 obstacles naturels ou artificiels et 60 ont déjà été faits.

Combien ça coûte ? 12 millions d’euros pour l’Artois-Picardie. Les ouvrages restant à aménager représentent un budget de 2-3 millions d’euros.

Ne vaudrait-il pas mieux consacrer cet argent à l’assainissement ? « L’Agence de l’Eau investit 120 millions pour l’assainissement. Les passes à poissons ne résolvent pas les problèmes de raccordement au tout à l’égout ou d’assainissement non collectif. Ce n’est pas parce qu’on investit pour la continuité écologique qu’on ne s’intéresse pas à l’assainissement. »

Et les inondations ? « Hydrologiquement, les précautions ont été prises : nous avons fait des simulations du fonctionnement des ouvrages en cas de crue. Comme on augmente le débit normal de la rivière, ça diminue le risque. L’aléa existait avant, il existe toujours après. »

Pourquoi certains particuliers doivent-ils payer les travaux ? Quand les travaux sont faits sur un terrain privé, l’étude et les travaux sont pris en charge. Par contre, s’il y a un projet de valorisation économique (un moulin qui vend son courant à EDF), 25 % du projet reste à charge du propriétaire.
PAR CÉCILE LEGRAND-STEELAND ET CAROLINE FAUQUEMBERT (CLP)

L’Agence de l’Eau investit 120 millions pour l’assainissement. Les passes à poissons ne résolvent pas les problèmes de raccordement au tout à l’égout ou d’assainissement non collectif. Ce n’est pas parce qu’on investit pour la continuité écologique qu’on ne s’intéresse pas à l’assainissement.

zib01 a écrit :Dommage que CF21 n'était pas présent
http://esoxiste.com/communique-de-press ... epublique/

Il a également précisé son intention de signer la charte des Moulins proposée par la ministre de l’Ecologie tout en dénonçant les appels au moratoire sur les classements des cours d’eau.