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FFAM Le moulin et la lois
LA QUESTION DE LA PROPRIETE DES BIEFS ET CANAUX
« Le canal qui conduit les eaux alimentaires d’une usine doit-il toujours être réputé, à titre d’accessoire, la propriété du maître de l’usine ?
Cette question a souvent été résolue par suite d’une sorte de préjugé, plutôt que par l’examen des lieux et par l’application éclairée des principes du droit. Mais elle ne peut être tranchée d’une manière absolue et il y faut apporter bien des distinctions ».
Ainsi s’exprimait Daviel (Traité de la législation et de la pratique des cours d’eau, 1845, 3ème édition) et de citer Henrys (1615-1662), Avocat du Roi, posant clairement le principe qui a gouverné tout l’Ancien Droit :
« Comme un moulin ne peut être moulin sans sa prise d’eau, il s’ensuit aussi que la prise d’eau en est une partie nécessaire, une partie intégrante et presque la principale, puisque, sans elle, le moulin serait inutile. D’où il faut pareillement inférer que le béal ou canal qui conduit l’eau au moulin, n’est pas seulement un simple accessoire ou dépendance, mais plutôt c’en est une portion inséparable et qui, prise conjointement avec les bâtiments, ne fait qu’une même chose. Par conséquent, que celui qui est propriétaire du moulin l’est aussi du béal ou canal qui conduit l’eau. Que le sol lui appartient, et qu’il faut croire qu’avant de bâtir le moulin, il s’est assuré de la prise d’eau et du passage d’icelle. Que c’est un droit primitif et qui a dû être le premier dans l’exécution, aussi bien que dans l’intention, parce qu’en effet celui-là serait ridicule qui, après avoir édifié un moulin, chercherait où prendre l’eau et où la faire passer. Il faut donc que cela précède, et il s’en doit assurer, et c’est pourquoi le béal et l’endroit où il passe est toujours censé joint au moulin et appartient au maître. »
Ce principe trouve à présent sa traduction dans l’article 546 du Code civil selon lequel : « La propriété d’une chose, soit mobilière, soit immobilière, donne droit sur tout ce qu’elle produit, et sur ce qui s’y unit accessoirement, soit naturellement, soit artificiellement. Ce droit s’appelle droit d’accession ».
Bien que formulé en des termes généraux, cet article trouve une application privilégiée concernant les biefs ou canaux d’amenée et de fuite d’eau des moulins.
La jurisprudence, de façon constante, retient la présomption de propriété, au bénéfice du maître du moulin, des canaux utiles pour le moulin, par le jeu de la théorie de l’accession, à la double condition qu'ils aient été creusés de main d'homme et dans un intérêt purement privé (Cass. req. 24 décembre 1860 : D. 60, 1, 44 ; Cass. civ. 18 août 1863 : S. 64, 1, 13 ; Cass. req. 3 décembre 1866 : D. 67, 1, 126 ; Cass. req. 9 mai 1868 : S. 69, 1, 311 ; Grenoble 30 décembre 1891 : D. 92, 2, 278 ; Pau 4 juin 1912 : S. 1913, 2, 202. La cour de Cassation sans modifier sa position a été amenée à nouveau à la préciser dans plusieurs arrêts : Cass. civ. 25 octobre 1968 : Bull. Cass. III, 419, p. 318 ; Cass. civ. 3 octobre 1969 : Bull. Cass. III, 621, p. 468 ; Cass. civ. 5 janvier 1978 : Bull. Cass. III, n° 13, p. 10 ; dans le même sens, Paris 12 octobre 1968 : D. 1969, somm. 34).
• Le caractère artificiel du canal :
Est artificiel le canal creusé de main d’homme et qui est différent du lit de la rivière.
Tel n’est pas le cas en présence d’un canal qui recueille la totalité des eaux d’un cours d’eau dont il constitue le nouveau lit (Cass. civ. 7 novembre 1975 : Bull. Cass. III, 325) ou bien d’un cours d’eau naturel réaménagé dans l’intérêt d’une usine (Cass. Req. 3 décembre 1866 : S. 67, 1, 64 ; Cass. civ. 7 juin 1893 : S. 93, 1, 292).
Il en est de même si le cours d’eau d’une étendue considérable (deux kilomètres), formé de la réunion de divers ruisseaux, dont la direction naturelle a été modifiée par des travaux très anciens et qui, avant d’arriver à l’usine qui prétend se l’approprier exclusivement, sert à des usages publics ou à l’utilité particulière des propriétaires dont il traverse les héritages (Cass. civ. 26 avril 1854, D. P. 54, 1, 139).
En pareille circonstance, le cours d’eau est considéré comme un cours d’eau naturel et continue, à ce titre, à être soumis, au profit des riverains, à l’article 644 du Code civil. En conséquence, le propriétaire du moulin ne peut s’opposer d’une manière absolue à ce que les riverains se servent des eaux de ce canal pour l’irrigation de leurs propriétés ; il n’a que le droit de demander un règlement d’eau, conformément à la disposition de l’article 645 du Code civil (Orléans, 13 décembre 1855, D. P. 56. 2. 253).
• Le caractère exclusif du canal :
Ne remplit pas cette condition le canal d’amenée creusé non pour le service exclusif d’un moulin, mais dans l’intérêt commun de plusieurs établissements et des propriétaires riverains (Cass. civ. 16 mai 1905 : D.P. 1908, 1, 92 ; Cass. civ. 23 juin 1959 : Bull. Cass. I, 314, p. 262 ; CA Toulouse, 9 septembre 1996, inédit).
Mais dès lors qu’il est établi que le bief d’amenée d’eau est un ouvrage artificiel et diffèrent du lit de la rivière, et qu’il a été créé dès l’origine à l’usage exclusif d’un moulin, ce bief est réputé appartenir en entier au propriétaire du moulin (Cass. civ. 5 janvier 1978, Bull. Cass. III, n° 13).
Il s'agit toutefois d'une présomption de propriété qui peut être renversée par la preuve contraire qui peut résulter soit d'un titre de propriété d'un tiers, soit d'un acte prouvant que le prétendu propriétaire n'a sur le canal qu'un simple droit d'aqueduc (Cass. req. 18 août 1863 : S. 64, 1, 13).
La cour de cassation a depuis longtemps retenu que :
"La présomption de propriété admise au profit du propriétaire du moulin sur le canal d'amenée de ce moulin est détruite par la constatation que ce canal a été creusé, non pour le service exclusif de ce moulin, mais dans l'intérêt commun de plusieurs établissements et des propriétaires riverains" (Cass. civ. 16 mai 1905 : D.P. 1908, 1, 92 ; Cass. civ. 23 juin 1959, précité).
Si le canal est propriété privée, on considère également que les francs bords appartiennent au maître de l'usine ou du moulin. On entend par francs bords des "bandes latérales qui permettent d'en assurer la surveillance et l'entretien" (Planiol et Ripert, Traité pratique de droit civil français, « Les biens », p. 463). C'est là encore une présomption de propriété, mais ce n'est qu'une présomption de fait (et non plus une présomption légale), laissée à l'appréciation des juges du fond. Les tribunaux admettent notamment qu'il peut être fait échec à la présomption "par titre, par l'état des lieux ou la prescription" (Cass. civ. 5 avril 1960 : JCP 1960, IV, 77 - Cass. civ. 20 déc. 1961 : Bull. Cass. I, 618, p.491). Ainsi, rien ne s'oppose à ce que les francs bords fassent l'objet d'une possession distincte de celle du canal. De même faut-il admettre que, lorsque le canal alimente plusieurs usines, la présomption de copropriété s'étend aux francs bords.
Lorsqu'il y a appropriation privée du canal, les riverains n'ont aucun droit d'usage des eaux. Ils ne peuvent en user pour l'arrosage ou des besoins industriels, et la majorité des auteurs pense que même l'usage domestique doit leur être refusé. Il ne pourrait en être autrement que si les riverains du canal étaient en même temps les riverains du cours d'eau qui l'alimente ; ou si le canal n'avait pas été creusé à l'usage exclusif du moulin, alors que le propriétaire ne justifie pas, par ailleurs, de son droit de propriété exclusif sur les eaux (Cass. civ. 26 oct. 1971 : Bull. Cass. III, 507, p. 362).
Ces solutions jurisprudentielles, pour la plupart d’un autre âge, peuvent paraître rigoureuses pour les riverains d’un canal, voire même paradoxales à l’heure où l’usage de l’eau est solennellement proclamé comme appartenant à tous (article 1er al. 2 de la loi du 3 janvier 1992 sur l’eau ; article L. 210-1 al. 2 du Code de l’environnement).
Certains auteurs proposent ainsi de considérer que la propriété ne s’étend qu’au lit et éventuellement aux berges, mais non à l’eau (A. Gaonac’h, La nature juridique de l’eau, Ed. Johanet, 1999, p. 90).
Cependant, si l’usage de l’eau appartient à tous, c’est « dans le cadre des lois et règlements ainsi que des droits antérieurement établis » (article L. 210-1 al. 2 du Code de l’environnement).
Il est ainsi permis de penser que parmi ces droits, figurent ceux découlant du jeu de la présomption de l’article 546 du Code civil qui permet, dans les conditions énoncées ci-dessus, d’assurer la fonctionnalité du moulin qui, sans amenée d’eau, ne serait plus grand chose, et régler ainsi des conflits d’usages avec les riverains qui se font d’autant plus nombreux que la ressource en eau se fait rare.
Xavier Larrouy-Castéra
Avocat à la Cour d’Appel de Toulouse et de Pau
Spécialiste en droit de l’environnement
Cet article s’inspire de l’ouvrage coécrit avec J. L. GAZZANIGA et J. P. OURLIAC, intitulé « L’eau, usages et gestion », paru aux Editions LITEC, 1998. Pour aller plus loin : Jurisclasseur Rural : Eaux - Régime juridique, Fasc. 20 ; Jurisclasseur Civil : Propriété - Droit d’accession, Fasc. 80.