Un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne, suite à une question préjudicelle de l'autorité judiciaire allemande. En substance, la CJUE dit que les dispositions de la DCE 2000 ne sont pas simplement des programmations à vocation générale, mais qu'elles sont opposables à un projet particulier d'aménagement de la rivière. Si l'on démontre qu'un projet aggrave l'un des compartiments de qualité chimique et écologique prévu par la DCE 2000, on peut donc s'y opposer.
Communiqué :
http://curia.europa.eu/jcms/upload/docs ... 0074fr.pdf
Texte intégral :
http://curia.europa.eu/juris/documents.jsf?num=C-461/13
Les obligations prévues par la directive-cadre sur l’eau en matière d’amélioration et
de prévention de la détérioration s’appliquent à des projets particuliers tels que
l’approfondissement d’un fleuve navigable
Dès lors, la directive s’oppose à l’autorisation d’un tel projet lorsqu’il est susceptible de provoquer
une détérioration de l’état de la masse d’eau concernée et qu’aucune dérogation ne s’applique
Le Bund für Umwelt und Naturschutz Deutschland eV (Fédération pour l’environnement et la
protection de la nature, Allemagne) conteste devant le Bundesverwaltungsgericht (Cour suprême
administrative, Allemagne) l’autorisation donnée par l’autorité fédérale compétente d’approfondir
différentes parties du fleuve Weser au nord de l’Allemagne, de manière à ce que des porteconteneurs
plus larges puissent passer dans les ports de Bremerhaven, de Brake et de Brême
.
Selon le Bundesverwaltungsgericht, les projets en cause ont, outre les répercussions directes du
dragage et du déversement des résidus dans certaines zones de la Weser, d’autres conséquences
hydrologiques et morphologiques pour les portions de fleuve concernées. Ainsi, la vitesse du
courant sera plus forte tant à la marée descendante qu’à la marée montante, les niveaux de pleine
mer seront plus élevés, les niveaux de basse mer seront plus bas, la salinité augmentera dans
certaines parties de la Weser inférieure, la limite des eaux saumâtres de la Weser inférieure sera
déplacée vers l’amont et, enfin, l’envasement du lit du fleuve augmentera en dehors du chenal.
Ayant des doutes sur le point de savoir si la directive-cadre sur l’eau est applicable à la procédure
d’autorisation de ce projet particulier ou bien si elle se limite à énoncer de simples objectifs de
planification de gestion, le Bundesverwaltungsgericht s’est adressé à la Cour de justice. Il lui
demande aussi quels sont, le cas échéant, les critères déterminants pour apprécier l’existence
d’une détérioration de l’état d’une masse d’eau au sens de la directive.
Par son arrêt de ce jour, la Cour constate que l’objectif ultime de la directive-cadre sur l’eau
consiste à atteindre, par une action coordonnée, le « bon état » de toutes les eaux de surface de
l’Union à l’horizon de l’année 2015.
Les objectifs environnementaux que les États membres sont tenus d’atteindre comportent deux
obligations, à savoir prévenir la détérioration de l’état de toutes les masses d’eau de surface
(obligation de prévention de la détérioration) et protéger, améliorer et restaurer toutes ces masses
d’eau afin de parvenir à un bon état au plus tard à la fin de l’année 2015 (obligation
d’amélioration)
Tenant compte du libellé, des objectifs ainsi que de la structure de la directive, la Cour conclut que
ces obligations ne constituent pas uniquement des obligations de principe, mais qu’elles
s’appliquent également à des projets particuliers.
La Cour répond dès lors au Bundesverwaltungsgericht que les États membres sont tenus, sous
réserve de l’octroi d’une dérogation prévue par la directive, de refuser l’autorisation d’un projet
particulier lorsque celui-ci est susceptible de provoquer une détérioration de l’état d’une masse
d’eau de surface ou lorsqu’il compromet l’obtention d’un bon état des eaux de surface ou d’un bon
potentiel écologique et d’un bon état chimique de telles eaux à la date prévue par la directive.
Quant à la question de savoir à partir de quel moment il y a « détérioration de l’état » d’une masse
d’eau de surface, la Cour répond qu’une telle détérioration est établie dès que l’état d’au moins l’un
des éléments de qualité au sens de l’annexe V de la directive se dégrade d’une classe, et ce,
même si cette dégradation de l’élément de qualité ne se traduit pas par une dégradation de
classement, dans son ensemble, de la masse d’eau de surface
Cependant, si l’élément de qualité concerné au sens de l’annexe V de la directive se trouve déjà dans la classe la plus basse,
toute dégradation relative à cet élément constitue une « détérioration de l’état » d’une masse d’eau
de surface.
RAPPEL: Le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d'un litige dont
elles sont saisies, d'interroger la Cour sur l'interprétation du droit de l’Union ou sur la validité d'un acte de
l’Union. La Cour ne tranche pas le litige national. Il appartient à la juridiction nationale de résoudre l'affaire
conformément à la décision de la Cour. Cette décision lie, de la même manière, les autres juridictions
nationales qui seraient saisies d’un problème similaire.
Mon commentaire :
Le point essentiel de droit était de savoir si les dispositions de la DCE s'entendent comme des mesures générales et programmatiques sans opposabilité à des cas particuliers, ou si elles sont plutôt des injonctions que l'on peut opposer à tel ou tel projet (cas de l'aménagement hydraulique de la Weser, contesté par un groupe environnementaliste allemand).
La Cour répond dans un sens "strict" : aucun projet hydraulique ne peut détériorer la rivière ni aggraver l'état d'un de ses compartiments de qualité chimique / écologique au sens de la DCE.
Une telle position de la Cour est intéressante, car nombre de projets animés des meilleures intentions du monde courent le risque d'aggraver l'état de la rivière – c'est notamment le cas des mesures de continuité longitudinale. (On le voit en ce moment avec l'application "stupide" du débit minimum biologique qui conduit à vider des biefs et détruire leur faune)
Reste à établir le régime de la preuve sur ce genre d'affaires, notamment quand il s'agit d'évaluer un projet dont les effets sont à venir, non encore observables. L'environnement est rarement une science exacte, la notion de "dégradation" d'un milieu suppose une métrique consensuelle et non biaisée. Simple dans certains cas (une concentration de substance chimique), difficile dans d'autres (un assemblage de poissons ou d'invertébrés). Sur un projet particulier pour un site particulier, il est quasi-impossible pour un modèle de prévoir avec un degré raisonnable de certitude comment vont évoluer à moyen et long termes l'hydrologie et la biologie locales. Peut-être qu'une destruction d'ouvrage hydraulique entraînera une surmortalité à l'étiage ou un surcroît d'espèces invasives, indésirables pour les espèces patrimoniales, mais de là à le démontrer de manière convaincante au juge...
En revanche, on peut imaginer aisément que cet arrêt de la CJUE facilite l'opposition à des constructions de barrage à fin énergétique ou autres.